GPS EN ANTARCTIQUE

extraits de la thèse de Marie-Noelle Bouin, 1999 ©







Station GPS permanente en Terre Adélie (DUM1)









1- Fonte de la calotte antarctique et rebond post-glaciaire

Le comportement actuel de la calotte de glace antarctique est un sujet de première importance puisqu'il conditionne entre autres l'évolution à court terme du niveau des mers. La calotte Antarctique est-elle en train de fondre, comme le suggère la formation d'icebergs gigantesques à partir de la Péninsule ? Va-t-elle au contraire s'épaissir dans les prochaines années, l'augmentation des températures renforçant les précipitations ?
Paradoxalement, on ne dispose pas encore de mesures directes de variation de l'épaisseur de la calotte suffisamment précises et couvrant l'ensemble du continent. Comme les changements de la charge glaciaire se répercutent sur la position de la croûte terrestre par le biais des mécanismes isostatiques, mesurer les mouvements de la croûte sur plusieurs sites antarctiques fournit des informations sur l'évolution de la calotte. Le développement du GPS (Global Positioning System), technique de géodésie spatiale particulièrement prometteuse dans le cas de l'Antarctique, donne accès à ces déformations crustales avec une précision subcentimétrique. Il s'agit d'une méthode originale de quantification des variations actuelles de la masse de la calotte antarctique, fournissant des informations complémentaires aux mesures directes de l'épaisseur de la couche de glace par altimétrie radar satellitaire. Son caractère indirect permet de plus d'accéder à des renseignements sur l'histoire récente de la calotte antarctique.
En effet, au delà de la question de sa stabilité actuelle, se pose celle de son évolution depuis la fin de la dernière glaciation. Son épaisseur a diminué au moins partiellement depuis le dernier maximum glaciaire, il y a 18 000 ans, mais l'ampleur et les conditions de cette déglaciation restent mal connus. Les effets retardés sur la croûte terrestre, sous forme de la composante visqueuse du rebond post-glaciaire, viennent se superposer à la composante élastique résultant des variations glaciaires actuelles. Mesurer le rebond actuel en Antarctique donnerait donc également accès à des informations sur la dernière déglaciation, et sur la façon dont croûte et manteau y ont réagi.


2- Mesures géodesiques des déformations

Tous ces mouvements, visqueux ou élastiques, ont des amplitudes très faibles , souvent inférieures au centimètre par an. Le GPS est une technique de géodésie spatiale a priori adaptée, alliant précision et nombre de stations produisant des données disponibles en Antarctique. En effet, plusieurs stations permanentes du réseau IGS (International GPS Service for Geodynamics) ont été installées en 1994 sur quelques unes des zones antarctiques où la glace laisse place à la terre solide.
L'ordre de grandeur des mouvements de rebond glaciaire, essentiellement dirigés selon la verticale, qui est la composante la moins précise du GPS, oblige cependant à accorder une attention particulière à la qualité du traitement. Travailler sur l'Antarctique, qui est un domaine fascinant, rend également les choses un peu plus compliquées : les données y sont plus rares et plus coûteuses à acquérir. C'est vrai pour les mesures GPS, puisque les stations permanentes sont très peu nombreuses, que leur maintenance est aléatoire même sur les bases permanentes, et qu'organiser une campagne de mesures est une prouesse technique et financière. C'est vrai également pour le traitement des données GPS : on a pu constater que l'état du réseau, la configuration particulière des orbites, et l'ionosphère très active dégradent la précision du calcul.

Les plaques tectoniques dans l'hémisphere Sud Le réseau de stations GPS permanentes en Antarctique


On a choisi dans cette étude de traiter les données des stations permanentes IGS, qui présentent le double avantage d'être continues depuis 1995, et de couvrir l'ensemble de la surface de l'Antarctique, même si les stations sont encore très peu nombreuses. L'état du réseau antarctique s'est considérablement amélioré entre 1995 et 1999 : De quatre stations IGS produisant des données encore assez aléatoirement en 1995, on est passé à neuf stations permanentes, dont les données sont plus suivies et plus nombreuses, en 1998. Nous avons contribué à la densification de ce réseau en déposant une demande auprès de l'Institut Français de la Recherche et de la Technologie Polaire (IFRTP) pour l'installation d'une station GPS permanente sur la base française de Dumont d'Urville (Terre Adélie), qui fonctionne sans interruption depuis décembre 1997.


3- Les différents mouvements attendus

Les déplacements attendus sont donc constitués d'une superposition de plusieurs effets, avec des constantes de temps et des échelles spatiales variées.


4- Description de la solution géodésique

Le rattachement au système de référence a été effectué à partir de plusieurs techniques (logiciels CATREF servant à la combinaison des jeux de coordonnées pour l'ITRF et GLOBK associé au logiciel de traitement GPS utilisé GAMIT), qui ont permis de mettre en évidence la cohérence des résultats. La technique retenue finalement est celle de la combinaison de jeux de coordonnées à partir d'une transformation à 7 paramètres sur les résultats du calcul en réseau global libre.
La solution a été rattachée à l'ITRF 96, système de référence utilisé pour les calculs des orbites IGS et qui fournit les positions a priori des stations dans l'inversion GAMIT, et à la nouvelle solution ITRF 97, dans laquelle davantage de stations de l'hémisphère Sud interviennent.
Pour cela, il est nécessaire d'introduire un certain nombre de stations supplémentaires en dehors du continent Antarctique, afin de contraindre le mouvement de la plaque antarctique par rapport aux plaques environnantes


Le réseau de stations GPS permanentes traité dans nos calculs


5- Déplacements et vitesses obtenues

5a- Séries temporelles de Dumont d'Urville (Terre Adélie)
L'analyse des séries temporelles a permis l'obtention de vitesses horizontales et verticales exploitables pour toutes les stations ayant au moins 3 ans de données. Certaines ont des comportements non linéaires au cours du temps, pour des raisons liées soit à l'état de l'antenne, soit au mouvement du sous-sol.
Les séries temporelles (évolution avec le temps de la position de la station) sur la station GPS de Dumont nous ont permis d'observer l'effet du séisme de magnitude Mw=8,1 du 25 mars 1998, survenu près des îles Balleny, à environ 600 km de la base française. Cet effet ce manifeste par un saut brutal d'environ 1 cm dans les séries temporelles. Le déplacement cosismique mesuré (entre 4 et 13 mm de déplacement instantané selon la composante et la solution) est légèrement inférieur au résultat d'un modèle de dislocation élastique (19 à 22 mm) mais cohérent en orientation. C'est bien évidemment la vitesse horizontale corrigée de ce déplacement "anormal" qui a ensuite servi à l'évaluation du pôle de rotation antarctique, et qui est remarquablement compatible avec les vitesses horizontales des stations IGS sur le rest de la plaque antarctique.

5b- Vitesses horizontales et pole de rotation de la plaque Antarctique
Pour toutes les stations situées sur la plaque tectonique antarctique, la très bonne cohérence des vitesses horizontales avec une rotation de plaque rigide nous permet de proposer une révision du mouvement tectonique prédit par NNR-Nuvel1-A. La vitesse de rotation extraite de nos calculs est de 0,264 °/Ma, autour d'un pôle situé par 62° de latitude Nord et 147° de longitude Ouest.
Sur la figure, les flèches flèches rouges indiquent les vitesses mesurées dans notre calcul. Les flèches vertes correspondent aux vitesses modélisées par un pole de rotation rigide (point vert entouré de rouge), et les flèches bleues représentent les residus (les écarts) entre les observations et le modèle. On note la très bonne "performance" du modèle : les vitesses mesurées par GPS sur la plaque Antarctique sont compatibles à 1 ou 2 millimètre près avec la rotation d'une plaque rigide. Les vitesses résiduelles, une fois otée la vitesse correspondant à cette rotation de plaque, sont alors négligeables (inférieures à 2 mm/an) sur toutes les stations GPS utilisées pour l'évaluation de ce mouvement, à l'exception de la station de O'Higgins (au bout de la péninsule).
On peut remarquer que le pole estimé diffère sensiblement du pole Nuvel-1a (en marron sur la figure). Un calcul indépendant (Heflin et al.) sur les données GPS Australiennes propose également un nouveau pôle de rotation pour la plaque Australie. Les pôles respectifs de chacune des plaques prises séparément sont significativement différents des prédictions de Nuvel1-A, mais la rotation relative est très proche du mouvement NNR-Nuvel1-A : vitesse de rotation identique à un centième de degré par million d'années près, position du pôle différant de moins de 3 degrés en latitude et en longitude. Ce type de contrainte relative nous fournit une très bonne validation géologique de nos résultats, puisque c'est sur cette frontière Australie/Antarctique que le mouvement est le mieux contraint dans Nuvel1.

5c- Comparaison avec le système DORIS
Le système de positionnement DORIS fournit lui aussi des vitesses de déplacement des stations antarctiques (Crétaux et al., 1998). Un pole peut là aussi etre estimé, ainsi que les residus par rapport à ce pole. Alors que le pole trouvé est quasiment identique à celui de Nuvel-1a, les residus assez importants (de l'ordre de 5 mm/an pour 3 stations et 3 mm/an pour les 2 autres) semblent indiquer que les vitesses DORIS sont soit moins précises que les vitesses GPS, soit affectées par des erreurs locales (monument géodesique instable). Le fait que l'on trouve malgré tout un pole proche de celui de Nuvel-1a confirme que le système DORIS peut fournir un système de reference convenable, indépendant du GPS.


Les séries temporelles de la station de Dumont d'Urville
les croix (resp. les cercles) sont les positions quotidiennes avant (resp. après) le séisme.




Les vitesses horizontales obtenues ainsi que le pole de rotation estimé et les residus par rapport à ce pole.



Les vitesses horizontales obtenues à l'aide du système DORIS, ainsi que le pole estimé et les residus par rapport à ce pole.


6- Déglaciation et rebond élastique instantané sur la péninsule

La seule station où l'on obtient une vitesse résiduelle horizontale non nulle après retrait du mouvement correspondant à la rotation rigide de la plaque tectonique antarctique et l'influence du séisme des Iles Balleny, est celle de O'Higgins située à l'extrémité de la Péninsule. La très bonne cohérence de ce résidu d'une solution à l'autre, et son amplitude de 8 mm/an significative par rapport aux incertitudes nous ont orientés vers une interprétation glaciologique. La Péninsule est la région la plus chaude de tout le continent antarctique, soit la meilleure candidate à une débâcle rapide. Cette vitesse horizontale peut être associée à un retrait élastique instantané vers un centre de décharge glaciaire situé près de la base de la Péninsule (plate-formes de Larsen ou de Filchner-Ronne, sur lesquelles les taux de vêlage sont élevés actuellement). En effet, la croute continentale réagit comme une éponge élastique qui se regonfle (mouvement vertical vers le haut) et qui se rétracte (mouvement horizontal en arrière) quand on arrete d'appuyer dessus (la masse de glace qui diminue). L'amplitude des mouvements horizontaux d'origine flexurale est d'environ 1/3 de celle des mouvements verticaux de rebond élastique correspondants. Ce résidu horizontal de 8 mm/an serait donc cohérente avec le mouvement vertical positif de 25 mm/an que l'on observe sur cette station de O'Higgins.


7- Vitesses verticales : vers une surrection générale plus importante que prévue ?

Parmi les vitesses verticales sur le continent antarctique, la plus élevée, dans le sens d'une surrection importante, est celle observée sur cette même station de O'Higgins, avec 25 +/- 12 mm/an. Ce mouvement est trop important, comparé aux autres vitesses verticales des stations antarctiques, pour ne traduire que du rebond visqueux. Il indique certainement une remontée élastique d'au moins 10 à 15 mm/an, correspondant à une évacuation glaciaire actuelle importante au voisinage de la Péninsule. L'application d'une modélisation simple à partir de disques représentant la charge de glace, permet d'évaluer la diminution de l'épaisseur de glace nécessaire pour provoquer un rebond vertical de 1 cm/an à O'Higgins. Si cette diminution est uniforme sur l'ensemble de la Péninsule, il faudrait qu'elle atteigne 65 à 70 cm/an, chiffre important par rapport aux évaluations courantes des modèles, mais qui reste possible, et même comparable à des valeurs locales (par exemple celles du scénario J92 de (Jacobs et al., 1992). Un tel mouvement constitue une indication importante et nouvelle d'une accélération sensible de l'évacuation glaciaire sur la Péninsule.
Paradoxalement, il est difficile d'obtenir des mesures directes fiables de l'ablation des plate-formes, qui soient représentatives du comportement glaciaire sur l'ensemble de la Péninsule. On y a cependant constaté depuis le début des années 90 une accélération du vêlage, avec la disparition rapide de plusieurs grandes plates-formes glaciaires, mais les glaciologues hésitent à en déduire une tendance à long terme.
Cette vitesse de remontée importante à O'Higgins vient donc confirmer des observations glaciologiques. Les études de Rignot, 1998b montrent également des vitesses de retrait des lignes d'échouage sur les plates-formes de la Péninsule beaucoup plus rapides que les résultats des modèles, qui servent eux-mêmes de base aux bilans de l'équilibre actuel de la calotte antarctique. On ne dispose pas encore de mesures globales de vitesse de remontée de la croûte d'origine géodésique venant confirmer les résultats de cette étude. Localement, a la station japonaise de Syowa (Kamimuna, 1998), les résultats de plus de 20 ans de mesures de nivellement et de marégraphie, relayées par du GPS, montrent des vitesses de remontée continue de 10 mm/an environ.
Notre résultat constitue donc une première validation géodésique de ces observations glaciologiques. Le fait de ne disposer que d'une vitesse GPS sur la Péninsule empêche des interprétations plus détaillées. L'installation mi-1998 d'une seconde station GPS permanente à la station de Palmer devrait permettre d'obtenir d'ici quelques années une autre vitesse verticale sur la côte Ouest de la Péninsule. Par la suite, il faudrait disposer de données plus nombreuses, couvrant si possible l'ensemble de la Péninsule, qui devraient fournir une cartographie plus complète du mouvement de rebond élastique, et donc des zones principales d'évacuation glaiciaire. La fiabilité des vitesses verticales GPS dépend en grande partie de la façon dont les données ont été obtenues.
Les variations saisonnières très importantes, détectées sur la composante verticale de O'Higgins, confirment la présence d'un mouvement de rebond élastique. Leur période est de 365 jours exactement, avec une amplitude de 5 cm. Le mécanisme (encore incertain) justifiant des variations d'une telle ampleur devrait faire appel à des variations très importantes de l'évacuation glaciaire sur la Péninsule entre l'été et l'hiver.
Les vitesses verticales GPS sur le reste des stations antarctiques, bien que reflétant un mouvement moins important, et avec des incertitudes du même ordre de grandeur que les vitesses elles-mêmes, indiquent une remontée globale du continent. Un rebond de 10 mm/an environ se situe plutôt vers la limite supérieure des estimations des modèles de rebond post-glaciaires, montrant ainsi que la relaxation visqueuse provoquée par la dernière déglaciation sur l'Antarctique est encore effective. Le fait de ne pas détecter de divergence horizontale claire accompagnant ce mouvement vertical peut être attribué à l'incertitude sur les vitesses résiduelles horizontales par rapport à la rotation de plaque tectonique rigide. Une vitesse inférieure à 2 mm/an, conforme aux prédictions des modèles ICE-3G, LC79 ou D91, passerait inaperçue parmi les résidus horizontaux du même ordre de grandeur.

Les vitesses verticales mesurées en Antarctique :
  • en rouge les vitesses des stations sur la plaque Antarctique
  • en vert les vitesses des stations sur les autres plaques.


vitesses en plan : les flèches pointant toutes vers l'extérieur indiquent une surrection générale




vitesses en coupe : altitude en fonction de la latitude. les barres grises verticales indiquent l'incertitude sur les vitesses



8- Conclusion

Nous avons montré dans cette étude que le traitement de 4 années de données GPS continues sur l'Antarctique et ses environs, avec une méthode adaptée, permettait d'obtenir des vitesses exploitables, sur la composante verticale comme horizontale.

Les enjeux de ce dernier point sont particulièrement importants, puisque la fonte totale de la partie Ouest de la calotte implique une augmentation du niveau des mers de plus de 6m. L'année 1998 a été celle du GPS en Antarctique, puisque 4 nouvelles stations permanentes fournissent désormais des données accessibles. L'intérêt de la géodésie dans la détection des variations glaciaires n'a jamais été aussi évident, c'est à partir de maintenant que cette nouvelle direction de recherche prend tout son sens.

9- Mise à Jour septembre 2009

La station fonctionne depuis maintenant près de 12 ans sans problème majeur. En 2007 la station a été acceptée par l'IGS pour intégration dans son réseau international qui permet le calcul d'orbites précises des satellites GPS. Les données sont télétransmises à l'IFRTP en métropole, et de là directement sur les bases de données des différents centres de calculs de l'IGS, dont en particulier l'IGN. De ce fait, la station est également intégrée dans le calcul du système de référence: l'ITRF.
Les données précédents l'intégration dans l'IGS ont été retraitées dans le cadre d'une campagne massive de retraitement des données IGS anciennes. La série temporelle produite par les centres de calculs peut donc être analysée sur toute la période 1998-2009.
En déplacement horizontal, il n'y a pas d'évenement notoire depuis le séisme des Balleny Islands de mars 1998. le déplacement s'effectue de manière continue, conformément au mouvement prédit par la tectonique des plaques dans la région. Le mouvement vertical est plus difficile à observer. La tendance à la surrection des premières années à environ +5mm/an semble s'être inversée depuis pour montrer une subsidence à environ -2mm/an





© Tous les resultats exposés ici sont extraits de la thèse de M.N. Bouin, effectuée au laboratoire de géologie de l'ENS, sous la direction conjointe de Ch. Vigny (ENS) et C. Boucher (IGN), et soutenue le 14 Octobre 1999, devant un Jury composé de MM F. Barlier (président), K. Lambeck (rapporteur), M. Kasser (rapporteur), F. Remy (examinateur), B. Ambrosius (examinateur), C. Boucher, et Ch. Vigny.





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