Évaluation de l'aléa sismique sur une grande faille décrochante :

la faille de Sagaing, Birmanie






Résumé du Projet :La faille de Sagaing constitue un grand décrochement dextre qui court sur des milliers de km du Nord au Sud de la Birmanie. Cette faille accommode tout ou partie du mouvement entre l'Inde à l'Ouest et l'Eurasie à l'Est (plus précisément le bloc de la Sonde). Les taux attendus sur cette faille varient de 1,5 cm/an au Sud (datations dans des basaltes décalés) à 3,5 cm/an au Nord (mesures géodésiques à grande échelle). Des reconstructions cinématiques vont même jusqu'à plus de 5 cm/an ! Cette faille a produit de grands séismes (~ Mw 7) dans le passé, et est toujours active comme l'a montré la sismicité enregistrée sur un mois en 1997.
Par le biais d'une extension du programme GEODYSSEA (collaboration Europe-ASEAN) à la Birmanie, un réseau GPS de 22 stations a été installé en 97 et mesuré en 98 une première fois. La remesure du réseau est prévue fin 2000, 2 ans après la première mesure. A cette date, nous disposerons d'une estimation fiable (quelques mm/an), de la vitesse en champ lointain à la latitude de Rangoon (2 points) et de Mandalay (2 points), ainsi que le détail de la déformation sur 3 transects perpendiculaires à la faille à la latitude de Mandalay (centre de la « lacune » sismique »).


1. Contexte du projet


Les mesures de géodésie spatiale (GPS) qui ont eu lieu dans le cadre du programme GEODYSSEA (réseau GPS d'une cinquantaine de points, couvrant tous les pays du Sud-Est asiatique, collaboration Europe-Asean, mesuré en 94, 96, et 98; auquel nous avons collaboré en installant les repères, en participant aux campagnes de mesures et au traitement des données, et en analysant les déplacements) ont apporté une quantité significative d'information sur la déformation actuelle dans tout le Sud-Est asiatique (Simmons et al., 1999, Chamot-Rooke et al., 1999). En particulier, un bloc rigide (le bloc de la sonde) avec un mouvement d'ensemble différent de celui du reste de l'Eurasie a été mis en évidence (figure 1). Ce mouvement n'est pas encore complètement élucidé mais Il semble clair que l'on ait une rotation par rapport à un pole situé au Sud-Ouest de l'Australie, avec une vitesse de rotation sensiblement plus élevée que celle du reste de la plaque Eurasie.


Figure 1. Résultats du réseau GEODYSSEA en Asie du Sud-Est, dans le contexte de Nuvel1. Les vecteurs labellés GEODYSSEA sont les vitesses des 15 stations du réseau situées à l'intérieur, dans la zone stable, du bloc de la Sonde. Ces vitesses mettent clairement en évidence une rotation de l'ensemble du bloc par rapport à l'Eurasie.

Une des conséquences de ce mouvement est de réduire le taux de décrochement et le taux de compression attendu sur la faille de Sagaing en Birmanie qui sépare l'Inde à l'Ouest de ce qui n'est plus l'Eurasie stable à l'Est mais bien le bloc de la Sonde qui « s'échappe » vers le Nord-Est sous l'effet de sa rotation. Au lieu de 5 cm/an de décrochement dextre associé à 1,5 cm/an de compression du au mouvement oblique de l'Inde, on n'aurait plus que 3,5 cm/an de décrochement dextre pur entre l'Inde et la partie stable de la Birmanie.

En l'absence de mesures directes dans la région même (le réseau GEODYSSEA s'arrêtait initialement à la Thaïlande), il est difficile de se livrer à une prédiction fiable de ce que doit être le mouvement sur la faille de Sagaing. En effet, compte tenu de sa position au Sud, une petite différence sur l'estimation du pole de rotation du bloc de la sonde par rapport à l'Eurasie, entraîne une grande différence sur la vitesse prédite sur la limite Nord-Ouest de ce bloc.

Par ailleurs, nous disposons de datations (méthode 40K-40AR) sur des coulées basaltiques récentes (0,25 à 0,31 Ma) de la région de Mandalay (basaltes de Singu)(Bertrand et al., 1998). Les décalages dextres (2,7 à 6,5 km) des coulées observés sur les images satellites conduisent à l'estimation d'une vitesse de décrochement comprise entre 10 et 23 mm/an. Si l'estimation GEODYSSEA est correcte, La faille n'absorberait alors que les 2/3 du mouvement relatif Inde-Bloc de la Sonde, la fraction restante étant distribuée sur d'autres structures.



2. La faille de Sagaing


La sismicité en Birmanie est principalement attribué à deux structures actives : le chevauchement à l'Ouest avec l'Inde (dit MBT), et la faille de Sagaing (figure 2). La Birmanie a connu un certain nombre de séismes majeurs dans le passé (au moins 13 séismes de magnitude supérieure à 7 attestés depuis 1908); et le plus récent (Mw 7,3 en 1991) s'est produit sur la faille de Sagaing, 150 km au Nord de Mandalay, soit 50 ans à peine après le précédent séisme à cet endroit (M7,5 en 1946). Dans le district de Mandalay même, le dernier grand séisme (M7) s'est produit en 1956.


Figure 2. Sismicité en Birmanie, à partir du catalogue USGS. On voit clairement le séisme de 1956 à coté de Mandalay, et ... presque rien depuis dans la région. Plus au Sud et plus au Nord, la sismicité est bien marquée sur la trace de la faille.

L'absence de réseau sismologique permanent en Birmanie ne permet pas de faire une étude sismologique précise de la micro-sismicité en particulier Nous travaillons donc à l'installation d'un tel réseau dans le cadre d'une collaboration avec nos partenaires Birmans. Compte tenu de la lourdeur d'un tel dispositif, il n'est pas prévu que celui ci soit opérationnel avant quelques années. Néanmoins, nous avons vérifié l'existence d'une certaine micro-séismicité en installant deux stations sismologiques dans cette région de part et d'autre de la faille pendant 2 mois en 1997.

Il ressort de ces études que la faille de Sagaing présente un aléa sismique important, sans qu'il soit possible de le préciser plus pour l'instant puisque nous ne connaissons pas avec précision le déplacement absorbé par la faille. Depuis les mesures GEODYSSEA, nous savons qu'il n'est pas celui prédit par Nuvel1, mais sans pouvoir dire ce qu'il est exactement.



3. Les réseaux GPS sur la faille


Il a donc été décidé, dans le cadre d'une extension du programme GEODYSSEA et de l'adhésion de la Birmanie à l'ASEAN, d'étendre le réseau GEODYSSEA à la Birmanie, au travers de la faille de Sagaing. Pour ce faire, 4 points dit « principaux » ont été installés, de part et d'autre de la faille, à la latitude de Rangoon et de Mandalay (figure 3a).

Il est clair que la quantification de la vitesse de déformation au travers de la faille de Sagaing est de première importance pour la quantification du risque sismique généré par cette faille. Mais pour cela il est également nécessaire de savoir si la déformation est localisée ou non, si les segments de faille identifiés sont bloqués ou non, et de connaître d'autres paramètres tels que la profondeur sismogénique. Nous avons donc engagé une étude plus fine sur une zone plus réduite : les alentours de la ville de Mandalay. Cette région (autour de la 2ème ville du pays, ancienne capitale historique) présente l'intérêt de montrer une faille bien localisée, une sismicité historique importante (Magnitude 7 en 1839, 1956), et une lacune claire depuis (figure 2). Nous avons donc procédé à l'installation de plusieurs transects perpendiculaires à la faille à la latitude de Mandalay dans le but de mesurer le gradient de déformation autour de la faille à cette latitude (figure 3b).

Le premier transect est composé de 10 points géodésiques répartis de part et d'autre de la faille, avec une distance relative qui croit au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la trace principale. Ainsi les deux points les plus proches sont quasiment « sur » la faille, ce qui permet de voir si celle ci est bien bloquée avec une très grande « finesse », et donnera également le déplacement cosismique avec une très grande précision en cas de séisme. Les points suivants sont encore assez proches les uns des autres (quelques km) pour assurer une bonne définition spatiale du gradient de déformation sur la bande où il est le plus fort (approximativement une longueur horizontale équivalente à la profondeur de blocage). Ensuite les points sont plus espacés, pour finir avec les deux points extrêmes à plus de 50 km de part et d'autres de la faille, assurant ainsi la mesure de la déformation en champ lointain (en dehors de tout effet élastique). Par ailleurs, les points les plus à l'Est sont enracinés sur le bloc stable du plateau Shan, c'est à dire au delà de toutes les failles secondaires qui pourraient éventuellement absorber une partie de la déformation, entre la faille de Sagaing et l'escarpement Shan lui même.

Afin de mieux contraindre les mesures par une certaine redondance spatiale, nous avons également installé deux autres transects (plus courts, 4 points chacun) quelque dizaines de km au Nord et au Sud du transect principal. Nous pourrons donc comparer les gradients de déformation à trois latitudes différentes et en déduire des informations sur la segmentation de la faille.

Enfin, tous les points ont été monumentés avec des repères à centrage forcé (type boulons Wild) qui permettent de s'affranchir des embases et trépieds généralement utilisés. La précision du positionnement est alors maximum, et de l'ordre de quelques millimètres à peine.




 

Figure 3a. Réseau GPS en Birmanie. Les 4 triangles les plus gros montrent les points en champ lointain à la latitude de Yangoon et Mandalay. Les 18 triangles plus petits montrent les 3 transects (10 points, 4 points, 4 points) installés perpendiculairement à la faille de Sagaing à la latitude de Mandalay.

 

Figure 3b. Les 3 transects perpendiculaires à la faille à la latitude de Mandalay.

Nous avons déjà procédé à l'installation et à la mesure de tels transects au travers d'une autre grande faille décrochante : la faille de Palu dans le Célèbes en Indonésie. (Walpersdorf et al. 1998, Stevens et al., 1999). La précision des mesures GPS (quelques mm) permet d'affirmer que la faille est bloquée, de mesurer précisément le gradient de déformation autour de celle-ci, de déduire la profondeur de blocage du profil des vitesses (environ 10 km), de quantifier la déformation élastique accumulée depuis le dernier séisme historique connu (environ 4 m en 100 ans), et enfin d'estimer la magnitude du prochain séisme : environ 7 (pour 4 m de rupture sur un plan de 50 km de long et 10 km de profondeur). Par ailleurs, cette estimation correspond assez bien au séismes caractéristiques produits par cette faille, décelés par des tranchées creusée dans la région. Nos mesures nous permettent donc de supposer que nous sommes plutôt en fin du cycle de chargement.

Par ailleurs, nous avons détecté des variations temporelles de la déformation perpendiculaire à la faille : plutôt compressive (-3 mm/an) au début des mesures (de 92 à 95) et plutôt extensive (+2 mm/an) ensuite (de 95 à 99), pour les points proches de la faille. Nous attribuons cette évolution à de la déformation élastique associé à de la migration de fluide dans le plan de faille (depuis le golfe de Palu tout proche), le tout déclenché par un séisme de magnitude 8 qui s'est produit le 1er janvier 96, 120 km au Nord sur la zone de subduction toute proche. Les modélisations de la contrainte de Coulomb et de la contrainte perpendiculaire au plan de faille corroborent les mesures GPS dans ce cas (à la précision des mesures évidemment).

Ce dernier point, justifie la remesure régulière des réseaux de points géodésiques installés sur des failles actives. Dans ce cadre, le GPS permet des applications sismo-tectoniques qui se distinguent nettement des applications purement tectoniques qui visent à quantifier le déplacement, supposé constant dans le temps, d'un bloc par rapport à un autre. Dans ce cadre là, la remesure régulière d'un réseau n'apporte rien d'autre que l'amélioration de la précision avec laquelle le mouvement est déterminé, au fur et à mesure de l'augmentation de l'intervalle de temps entre la première et la dernière mesure.



Le but de ce projet est donc d'obtenir le même genre de résultats sur la faille de Sagaing à partir de simples mesures de positionnement GPS :


tout cela, dans le but final de la quantification de l'aléa sismique généré par la faille dans la région.


L'originalité de la faille de Sagaing par rapport aux autres grands décrochements connus, et étudiés dans le cadre du PNRN par exemple, réside dans sa vitesse : potentiellement 5 cm/an, c'est à dire près de 2 fois plus rapide que la faille de San Adreas ou les failles Anatoliennes. Les déformations associées sont donc à priori plus facilement mesurables, et le temps caractéristique entre deux séismes au même endroit sur la faille est potentiellement réduit d'un facteur 2.






  1. Crustal motion and block behavior in SE-Asia from GPS measurements.
    Michel, G., Y. Yu, S. Zhu, C. Reigber, M. Becker, E. Reinhart, W. Simons, B. Ambrosius, C. Vigny, N. Chamot-Rooke, X. LePichon, P. Morgan, S. Matheussen.
    Earth and Physics Science letters, 187, pp 239-244, 2001.

  2. Present day crustal deformation around Sagaing fault, Myanmar.
    Vigny, C., A. Socquet, C. Rangin, N. Chamot-Rooke, M. Pubellier, M.-N. Bouin, G. Bertrand, M. Becker.
    Journal of Geophysical Research, 108(B11), 2533 doi:10.1029/2002JB001999, 2003.

  3. GPS determination of the relative motion between India and Sunda, and its accomodation in Myanmar
    Socquet, A., C. Vigny, W. Simons, N. Chamot-Rooke, C. Rangin, B. Ambrosius
    J. Geophys. Res., 111, B05406, doi:10.1029/2005JB003877, 2006.





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