PROGRAMME DE RECHERCHES EN INDONESIE



Mesure GPS des déformations transitoires aux frontières de plaques et du couplage entre failles à:

Sulawesi & Sumatra





Figure 1: la tectonique des plaques en Asie du Sud-Est

Le contexte. En Asie de Sud-Est, la tectonique des plaques est rapide et compliquée. L'Inde poinçonne le sud de l'Eurasie à une vitesse que l'on établie aujourd'hui à environ 3,5 cm/an. Dans le passé, elle allait beaucoup plus vite. Elle a probablement ralenti au fur et à mesure que le bourrelet qu'elle crée devant elle (le Tibet) augmente. De ce fait, elle s'est désolidarisée de l'Australie, qui elle continue de "monter" vers le Nord à une vitesse variant entre 5 et 7 cm/an. Plus loin à l'Est, c'est la plaque Philippine qui converge vers l'Eurasie à près de 8 cm/an, poussée par la plaque Pacifique, encore plus rapide. Le Noeud de cette convergence de plaque est un promontoire de l'Eurasie (en gros l'Indochine) que l'on appelle aujourd'hui le bloc de la Sonde ou Sundaland depuis qu'il a été identifié en tant que bloc autonome. Les derniers grands séismes qui ont affecté la région se sont produits le long de la frontière occidentale du bloc de la Sonde, en gros le long de l'Ile de Sumatra en Indonésie. Cette frontière est très compliquée. En premier lieu, ce n'est pas une, mais deux plaques - l'Inde au Nord, l'Australie au Sud - qui convergent vers la Sonde à cet endroit, et elles le font avec des vitesses sensiblement différentes. En second lieu, cette convergence est oblique à la frontière entre les deux blocs. De ce fait, le mouvement est "partitionné" sur deux failles distinctes: la convergence est absorbée en premier sur la fosse de subduction en mer, le coulissage (ou cisaillement) est absorbé sur une deuxième faille à terre, en arrière de la première: la grande faille de Sumatra. Entre ces deux grandes failles parallèles qui courent sur des milliers de km, se trouve la lanière de Sumatra (qui englobe jusqu'à la Birmanie au Nord). De l'autre coté, à l'Est de l'Indonésie, la frontière de plaques est encore plus compliquée, et c'est une véritable mosaïque de micro-blocs plus ou moins rigides et tournant rapidement sur eux-mêmes qui absorbe la convergence Pacifique-Philipinne-Australie contre le bloc de la Sonde. La "Tête de l'oiseau", extrémité Ouest de la Papouasie-nouvelle Guinée est expulsé à plus de 10 cm par vers l'Ouest. La mer des Moluques se referme en une double subduction à près de 8 cm/an. La mer de Banda a un mouvement à peu près inconnu. L'archipel de Sulawesi est fracturé en plusieurs blocs séparés par une grande faille décrochante (Palu-Koro) et bordé de subductions (à l'Est comme à l'Ouest: le détroit de Makassar avec Bornéo).

Figure 2: la crise sismique de Sumatra. Les cercles rouges montrent les Epicentre des séismes, les points jaunes les répliques enregistrées pendant 1 mois après le choc principal. Elles dessinent la surface de la faille qui a rompu lors du séisme. Le graphe en insert montre la quantité de glissement moyen (en m) associé à chaque séisme et le déficit de glissement en face de Padang.

Les séismes de Sumatra. Depuis 2000, on assiste à une succession de séismes, dont le plus connu est évidemment celui qui a déclenché le Tsunami géant du 26 décembre 2004. En 7 ans, 4 gros séismes(1) ont rompu plusieurs milliers de km de la subduction de Sumatra. Toute la subduction? Non, un petit segment de 200 km n'a apparemment toujours pas rompu. Il se trouve juste sur l'équateur, entre les deux grandes ruptures - dites de Nias en mars 2005 et Bengkulu en septembre 2007. A cet endroit la subduction présente un "déficit" de glissement: la faille à glissé de plusieurs mètres de part et d'autre de cette zone, sans que celle-ci en ait été particulièrement affectée pour l'instant. Après avoir étudié en détail les séismes de 2004, 2005 puis 2007, nous suivons avec attention ce "petit" segment, situé juste en face de la grande ville de Padang, capitale de Sumatra Ouest (au moins 1 million d'habitants). A cet effet, nous avons installé 4 stations GPS permanentes (2) qui mesurent la déformation de la croute terrestre en continu dans la région.



(1) Tout d'abord le séisme de l'Ile d'Enggano (au Sud) en juin 2000 (Magnitude 7.9) qui est passé complètement inaperçu, puis le séisme de Banda Aceh en Décembre 2004 (magnitude 9.2 à 9.4 suivant les estimations), puis le séisme de l'Ile de Nias en mars 2005 (magnitude 8.6), et enfin celui de Bengkulu en septembre 2007 (magnitude 8.4). Les séismes de Banda Aceh et de Nias sont les deux plus gros qui ce soient produit depuis les années 60.
(2) Padang (dans l'enceinte du l'hopital public), Sicincin (dans l'enceinte de la station météorologique), Tanjung lokal puis Malabau le long de la route au sud de Padang.

Figure 3: la sismo-tectonique de l'archipel des Célèbes (Sulawesi). Les points jaunes montrent les épicentres de séismes recensés par le réseau mondial depuis 1974 (source NEIC). Les flèches bleues et rouges indiquent les vitesses de déformation mesurées par GPS.

La sismo-tectonique de Sulawesi (Célèbes) L'archipel des Célèbes en Indonésie est l'une des régions les plus sismiques au monde (17 000 séisme de magnitude entre 3 et 8 recensés en 35 ans). Au Nord de l'Ile, la région de Palu (capitale de la province) a ceci de particulier qu'elle se trouve dans le "coin" bordé à l'Ouest par la faille de Palu-Koro et au Nord par la subduction Minahassa. Ces deux failles sont des structures tectoniques majeures, accumulant des déformations à près de 4 cm/an (soit largement l'équivalent de la faille de San Andreas aux USA). Y sont associé des fosses de convergence mal identifiées dans le détroit de Makassar ou la mer de Banda. La subduction Minahassa a produit un séisme de magnitude 7.9 le 1er janvier 1996 et un Tsunami heureusement peu destructeur (principalement parce que cette côte est peu habitée). Nous étudions la relaxation consécutive à ce séisme et la remise en charge de la subduction depuis. La faille de Palu n'a pas produit de grand séisme depuis au moins un siècle. Le récent "petit" séisme (magnitude 6.3) qui c'est produit le 23 janvier 2005 moins de 20km au sud de Palu est-il le signe que la faille est mure pour un grand séisme destructeur? Les mesures faites à Kalimatan, de l'autre coté du détroit de Makassar montrent une propagation de la déformation de Sulawesi. Y a-t-il accumulation de déformation sur une fosse "Makassar" susceptible de donner lieu à un grand séisme et à un Tsunami dans le détroit ?



L'apport de la géodésie spatiale et du positionnement précis par GPS. Parce qu'il permet un positionnement précis à quelques millimètres près, le GPS est un merveilleux outil pour la mesure des déformations de toutes natures. Des campagnes de mesures répétées à intervalle de temps régulier ou des réseaux de stations fixes qui mesurent leur position 24h/24 et 365 jours par an permettent de détecter et quantifier les mouvements des plaques tectoniques ainsi que leurs déformations. On voit ainsi la dérive des continents, comme l'accumulation de déformation élastique dans les zones de failles, ou encore les déformations cycliques dues aux surcharges océaniques lors des marées ou au passage des dépressions et anticyclones.

Le cas du séisme de Sumatra (Banda Aceh). Le séisme du 26 décembre 2004 est le deuxième plus gros de l'époque instrumentale (c'est-à-dire depuis que des sismographes enregistrent les séismes, soit une cinquantaine d'années environ). Une des énigmes posées par ce séisme tient à la longueur du segment de faille qu'il a rompu. En effet, là où il s'est produit, la situation tectonique est très complexe. Vu de loin, c'est la plaque Australo-Indienne qui subducte sous la plaque Eurasie, et il n'y a pas de problème. Mais aujourd'hui nous savons qu'il y a une frontière active entre l'Inde et l'Australie quelque part vers 90° de longitude Est. Cette frontière rencontre la frontière avec l'Eurasie (en fait le bloc de la Sonde) quelque part entre le Nord de Sumatra et le Sud des Iles Andaman, on appelle cela un point triple. Il est parfaitement normal qu'un séisme se produise sur n'importe lequel des segments de faille de part et d'autre de ce point triple. Il est tout à fait étonnant que la rupture du 26 décembre ait franchi ce point triple comme s'il n'existait pas. Les réseaux GPS permanents développés en Thaïlande, Malaisie, et Indonésie, parce qu'ils sont denses (60 stations au total), permettent non seulement de "voir" le rebond crustal associé au séisme, mais surtout de le modéliser complètement et quantitativement. Grâce à la mesure de la déformation sur une zone qui s'étale depuis le sud de la Malaisie (Singapour) au nord de la Thaïlande (ChiangMai), on peut contraindre l'extension de la rupture (1200km de long) et la quantité moyenne de glissement sur le plan de faille (12m) et donc la magnitude (9.2). Plus important, les subtiles variations du champ de déformation mesuré en surface indiquent que le glissement sur le plan de faille n'est pas homogène: il est très inégal tout au long du segment qui a rompu. On découvre en fait deux zones de glissement important, séparées par une zone de 100km de long vers 7° de latitude Nord Cette zone qui ne glisse pas est particulièrement intéressante. Elle correspond plus ou moins avec la frontière de plaque très mal connue entre l'Inde et l'Australie dans la région. Mais l'histoire ne s'arrête pas la. Avec le GPS il est possible d'aller bien au delà de la simple mesure du déplacement co-sismique total. Il est aussi possible d'estimer la position des stations GPS à chaque instant de l'acquisition sur les satellites (30s usuellement, de plus en plus chaque seconde, voire 0,1s aujourd'hui) c'est à dire pendant toute la durée du séisme. L'analyse fine des déplacements des stations au cours du temps permet de déterminer la vitesse de propagation de la rupture. On constate alors que si le premier segment s'est "déchiré" à près de 4 km/s, le second, lui, l'a fait plus lentement à environ 2 km/s. Encore mieux, on découvre que la rupture s'est arrêtée pour une durée très courte et mal déterminée, de l'ordre de quelques secondes à 1 minute, justement au passage d'un segment à l'autre. Nous pensons donc avoir la réponse à l'énigme posée par cette rupture qui traverse un point triple : Loin de l'avoir traversé, elle s'est en fait arrêtée sur cette frontière, puis à déclenché un second séisme de l'autre coté (quasi instantanément) par augmentation des contraintes statiques. Le fait qu'un séisme puisse en déclencher un autre sur un segment de faille voisin n'est pas une surprise. Fragilisé par la rupture toute proche, mis sous contrainte, chaque segment voisin du séisme voit sa probabilité de rompre bientôt augmenter. C'est ainsi que le séisme du 26 décembre en a déclenché un autre... au Sud, le 28 mars 2005. A-t-il également déclenché le dernier séisme de Bengkulu encore plus au sud et encore plus tard en septembre 2007 ?

La question majeure qui se pose est donc celle de l'espace et du temps: comment expliquer que le déclenchement soit parfois quasi instantané et parfois retardé de quelques mois ou encore de quelques années? Qu'elle est la zone d'influence d'un séisme? C'est de la réponse à ces questions que dépend en partie notre capacité à mieux quantifier l'aléa sismique. L'installation de nouveaux récepteurs GPS dans la région est primordiale pour surveiller l'évolution des déformations de l'écorce terrestre consécutives à tous ces séismes mais aussi pour mieux anticiper les scénarios possibles à attendre. C'est particulièrement crucial dans le cas du segment de Padang à Sumatra ou de Palu à Sulawesi: vont-ils rompre bientôt ? Doivent-ils accumuler encore longtemps avant de rompre ? Ou alors est-ce que le relâchement des contraintes accumulées se fait de manière lente, continue et donc asismique dans ces régions particulières ?




Sumatra: ANR OPOSSUM

Sulawesi: ACI observation de la Terre et projet Ambassade de France en Indonésie