Le comportement actuel de la calotte de glace antarctique est un sujet de première importance puisqu'il conditionne entre autres l'évolution à court terme du niveau des mers. La calotte Antarctique est-elle en train de fondre, comme le suggère la formation d'icebergs gigantesques à partir de la Péninsule ? Va-t-elle au contraire s'épaissir dans les prochaines années, l'augmentation des températures renforçant les précipitations ?
Paradoxalement, on ne dispose pas encore de mesures directes de variation de l'épaisseur de la calotte suffisamment précises et couvrant l'ensemble du continent. Comme les changements de la charge glaciaire se répercutent sur la position de la croûte terrestre par le biais des mécanismes isostatiques, mesurer les mouvements de la croûte sur plusieurs sites antarctiques fournit des informations sur l'évolution de la calotte. Le développement du GPS (Global Positioning System), technique de géodésie spatiale particulièrement prometteuse dans le cas de l'Antarctique, donne accès à ces déformations crustales avec une précision subcentimétrique. Il s'agit d'une méthode originale de quantification des variations actuelles de la masse de la calotte antarctique, fournissant des informations complémentaires aux mesures directes de l'épaisseur de la couche de glace par altimétrie radar satellitaire. Son caractère indirect permet de plus d'accéder à des renseignements sur l'histoire récente de la calotte antarctique.
En effet, au delà de la question de sa stabilité actuelle, se pose celle de son évolution depuis la fin de la dernière glaciation. Son épaisseur a diminué au moins partiellement depuis le dernier maximum glaciaire, il y a 18 000 ans, mais l'ampleur et les conditions de cette déglaciation restent mal connus. Les effets retardés sur la croûte terrestre, sous forme de la composante visqueuse du rebond post-glaciaire, viennent se superposer à la composante élastique résultant des variations glaciaires actuelles. Mesurer le rebond actuel en Antarctique donnerait donc également accès à des informations sur la dernière déglaciation, et sur la façon dont croûte et manteau y ont réagi.
Tous ces mouvements, visqueux ou élastiques, ont des amplitudes très faibles , souvent inférieures au centimètre par an. Le GPS est une technique de géodésie spatiale a priori adaptée, alliant précision et nombre de stations produisant des données disponibles en Antarctique. En effet, plusieurs stations permanentes du réseau IGS (International GPS Service for Geodynamics) ont été installées en 1994 sur quelques unes des zones antarctiques où la glace laisse place à la terre solide.
L'ordre de grandeur des mouvements de rebond glaciaire, essentiellement dirigés selon la verticale, qui est la composante la moins précise du GPS, oblige cependant à accorder une attention particulière à la qualité du traitement. Travailler sur l'Antarctique, qui est un domaine fascinant, rend également les choses un peu plus compliquées : les données y sont plus rares et plus coûteuses à acquérir. C'est vrai pour les mesures GPS, puisque les stations permanentes sont très peu nombreuses, que leur maintenance est aléatoire même sur les bases permanentes, et qu'organiser une campagne de mesures est une prouesse technique et financière. C'est vrai également pour le traitement des données GPS : on a pu constater que l'état du réseau, la configuration particulière des orbites, et l'ionosphère très active dégradent la précision du calcul.
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Les plaques tectoniques dans l'hémisphere Sud | Le réseau de stations GPS permanentes en Antarctique |
On a choisi dans cette étude de traiter les données des stations permanentes IGS, qui présentent le double avantage d'être continues depuis 1995, et de couvrir l'ensemble de la surface de l'Antarctique, même si les stations sont encore très peu nombreuses. L'état du réseau antarctique s'est considérablement amélioré entre 1995 et 1999 : De quatre stations IGS produisant des données encore assez aléatoirement en 1995, on est passé à neuf stations permanentes, dont les données sont plus suivies et plus nombreuses, en 1998. Nous avons contribué à la densification de ce réseau en déposant une demande auprès de l'Institut Français de la Recherche et de la Technologie Polaire (IFRTP) pour l'installation d'une station GPS permanente sur la base française de Dumont d'Urville (Terre Adélie), qui fonctionne sans interruption depuis décembre 1997.
Les déplacements attendus sont donc constitués d'une superposition de plusieurs effets, avec des constantes de temps et des échelles spatiales variées.
Le premier effet concerne le rebond post-glaciaire proprement dit, soit la remontée visqueuse de la croûte après un allègement important de la charge glaciaire. Cette remontée résulte de la re-répartition des masses à l'intérieur du manteau, qui peut prendre plusieurs milliers d'années.
Plusieurs types de données fournissent des informations sur la déglaciation partielle qui a eu lieu sur le continent Antarctique depuis le dernier maximum glaciaire, il y a 18 000 ans. Certaines sont des informations indirectes, résultant d'une inversion à partir d'enregistrements de variations du niveau des mers relatif. Elles sont alors influencées par les paramètres de la rhéologie terrestre, qu'on connait très mal. D'autres données directes, glaciologiques, permettent de contrôler la quantité de glace disparue selon les endroits.
Les glaciologues ont une façon plus directe d'aborder le problème, à travers un modèle de calotte de glace, qui interagit avec l'atmosphère, l'océan et la terre solide, et dont on peut observer le comportement une fois soumis à un forçage climatique.
Dans tous les cas, on a affaire à un modèle à entrées multiples, avec de nombreux paramètres inconnus et peu de contraintes. Malgré ça, le GPS a déja été utilisé avec succès pour la mesure de rebond post-glaciaire en Fennoscandie, où les prédictions de mouvements sont il est vrai généralement mieux contraintes, puisqu'on dispose de plus de données.
A ce rebond post-glaciaire proprement dit vient s'ajouter la réponse élastique immédiate de la Terre aux variations actuelles de masse de la calotte. On dispose paradoxalement de très peu de données directes permettant de contraindre le comportement actuel de la calotte. L'enjeu d'une mesure GPS de cette variation élastique est immédiat, avec des indications sur la contribution de l'Antarctique aux variations du niveau des mers. Il a aussi des conséquences à moyen terme, puisqu'il peut fournir des renseignements sur la stabilité de la calotte, en particulier la partie Ouest, avec des conséquences importantes sur l'évolution future du niveau des mers.
Les autres types de mouvements, de tectonique globale (rotation de la plaque antarctique par rapport aux plaques environnantes) ou locale (sismicité, déformations près des frontières de plaque), ont également leur intérêt. Il constituent un déplacement de premier ordre qu'il faut retirer pour obtenir une composante résiduelle exploitable pour la problématique du rebond post-glaciaire.
4- Description de la solution géodésique
Le rattachement au système de référence a été effectué à partir de plusieurs techniques (logiciels CATREF servant à la combinaison des jeux de coordonnées pour l'ITRF et GLOBK associé au logiciel de traitement GPS utilisé GAMIT), qui ont permis de mettre en évidence la cohérence des résultats. La technique retenue finalement est celle de la combinaison de jeux de coordonnées à partir d'une transformation à 7 paramètres sur les résultats du calcul en réseau global libre. |
![]() Le réseau de stations GPS permanentes traité dans nos calculs |
5a- Séries temporelles de Dumont d'Urville (Terre Adélie) |
![]() Les séries temporelles de la station de Dumont d'Urville les croix (resp. les cercles) sont les positions quotidiennes avant (resp. après) le séisme. ![]() Les vitesses horizontales obtenues ainsi que le pole de rotation estimé et les residus par rapport à ce pole. ![]() Les vitesses horizontales obtenues à l'aide du système DORIS, ainsi que le pole estimé et les residus par rapport à ce pole. |
La seule station où l'on obtient une vitesse résiduelle horizontale non nulle après retrait du mouvement correspondant à la rotation rigide de la plaque tectonique antarctique et l'influence du séisme des Iles Balleny, est celle de O'Higgins située à l'extrémité de la Péninsule. La très bonne cohérence de ce résidu d'une solution à l'autre, et son amplitude de 8 mm/an significative par rapport aux incertitudes nous ont orientés vers une interprétation glaciologique. La Péninsule est la région la plus chaude de tout le continent antarctique, soit la meilleure candidate à une débâcle rapide. Cette vitesse horizontale peut être associée à un retrait élastique instantané vers un centre de décharge glaciaire situé près de la base de la Péninsule (plate-formes de Larsen ou de Filchner-Ronne, sur lesquelles les taux de vêlage sont élevés actuellement). En effet, la croute continentale réagit comme une éponge élastique qui se regonfle (mouvement vertical vers le haut) et qui se rétracte (mouvement horizontal en arrière) quand on arrete d'appuyer dessus (la masse de glace qui diminue). L'amplitude des mouvements horizontaux d'origine flexurale est d'environ 1/3 de celle des mouvements verticaux de rebond élastique correspondants. Ce résidu horizontal de 8 mm/an serait donc cohérente avec le mouvement vertical positif de 25 mm/an que l'on observe sur cette station de O'Higgins.
Les vitesses horizontales, très cohérentes avec une rotation de plaque tectonique rigide, nous fournissent une révision des valeurs de Nuvel1-A pour la vitesse et la position du pôle de rotation de la plaque antarctique.
Sur la station de Dumont, le fait de disposer de séries temporelles continues et précises apporte une mesure d'un déplacement horizontal cosismique.
Les mouvements verticaux confirment l'existence d'un rebond visqueux sur l'ensemble du continent antarctique, peut-être même au delà (stations de Kerguelen et Macquarie). Ils indiquent surtout la présence de rebond élastique sur la pointe de la Péninsule, confirmant par là les observations des glaciologues sur l'accélération récente de la fonte de la calotte Ouest Antarctique.
Les enjeux de ce dernier point sont particulièrement importants, puisque la fonte totale de la partie Ouest de la calotte implique une augmentation du niveau des mers de plus de 6m. L'année 1998 a été celle du GPS en Antarctique, puisque 4 nouvelles stations permanentes fournissent désormais des données accessibles. L'intérêt de la géodésie dans la détection des variations glaciaires n'a jamais été aussi évident, c'est à partir de maintenant que cette nouvelle direction de recherche prend tout son sens.
© Tous les resultats exposés ici sont extraits de la thèse de M.N. Bouin, effectuée au laboratoire de géologie de l'ENS, sous la direction conjointe de Ch. Vigny (ENS) et C. Boucher (IGN), et soutenue le 14 Octobre 1999, devant un Jury composé de MM F. Barlier (président), K. Lambeck (rapporteur), M. Kasser (rapporteur), F. Remy (examinateur), B. Ambrosius (examinateur), C. Boucher, et Ch. Vigny. |